Une attitude éducative juste
L’action et la responsabilité éducative s’inscrivent dans une recherche permanente de relations ajustées entre éducateurs et enfants, adolescents, élèves. Si l’on a pu parler de « juste distance », notre réflexion récente nous amène plutôt à formuler la relation éducative sous la forme de la recherche de « présence ajustée ». Ce sont les conditions d’une relation chaste, non pas au sens courant de « non-charnelle », mais dans la mesure où la chasteté n’exerce aucune domination ni soumission de l’autre. Cette relation vertueuse n’est pas de l’ordre de la séduction. Ainsi l’enfant, l’adolescent, l’élève sont des sujets respectés, co-acteur du projet éducatif construit pour eux. Les éducateurs sont au service de leur croissance humaine et spirituelle harmonieuse en vue de leur participation à la vie de la société.
Sept repères :
- L’acceptation d’une relation asymétrique. Le cadre éducatif et dans ce contexte les rôles et fonctions des adultes supposent une égalité de dignité entre les personnes mais une dissymétrie de responsabilité. Cette asymétrie n’autorise pas de « pause ». Les rôles et fonctions ainsi que l’autorité sont toujours conservés et ne disparaissent pas, même en dehors des heures d’activités. Cette donnée doit être prise en compte dans l’élaboration du projet éducatif. L’asymétrie est une contrainte, un lieu à risque où il est nécessaire d’être vigilants et de savoir donner le relais à d’autres éducateurs.
- En réseau : Si l’éducateur peut être un acteur essentiel, il ne peut se considérer comme le seul acteur. Tout projet éducatif repose sur une pluralité de personnes : les parents, la famille, l’entourage, le cercle amical, les enseignants, les éducateurs, les animateurs. Tous participent à l’action éducative mais avec des relais et des fonctions différentes. Il est donc de la responsabilité de l’éducateur de s’appuyer explicitement sur ce réseau. Cela permet à chacun de grandir dans un apprentissage de la liberté, faire des choix, construire son propre chemin, personnel et singulier.
- Offerte à tous : la relation interpersonnelle n’est pas exclusive. La relation éducative est une dynamique de l’alliance où chacun est proche mais séparé, fidèle sans être soumis. L’alliance engage vis-à-vis de l’autre, dans le respect profond des différences : l’éducateur s’efface pour que grandisse l’éduqué. Si un enfant ou un adolescent suscite empathie, sympathie ou agacement, l’éducateur s’efforce d’offrir à tous la même relation de qualité. C’est une relation qui ne dépend pas des sentiments, sans chouchou ni bouc émissaire. Cette attitude est une discipline et un exercice de charité.
- Gratuite : la relation éducative ne recherche pas la gratitude ou la gratification, la reconnaissance et les remerciements auprès des enfants, des adolescents, des élèves. Pourtant, il est légitime que les éducateurs reçoivent les remerciements et la gratification nécessaires à leurs engagements et compétences. C’est pourquoi il est de la responsabilité de la structure, de l’institution d’honorer ce besoin pour garantir une saine asymétrie.
- Du temps et de l’espace. Cela suppose de ne pas tout programmer, saturer d’activités ou d’injonctions et de laisser du temps libre. Dans la relation comme dans l’écoute, dans un récit qui se déroule, un temps de silence permet de respirer, réfléchir, intérioriser, se convertir. Cela peut devenir un ilot de décélération bienvenu. Ecouter c’est se taire, faire taire tout ce qui passe par la tête. Sur le plan spirituel, l’intériorisation est un temps nécessaire pour permettre à l’Esprit Saint de faire son œuvre.
- Visibilité. Toute activité en groupe et tout temps individuel avec un enfant ou un adolescent se situent dans un cadre spatial et temporel défini, connu et accepté. Si le propos est confidentiel, le lieu ne l’est pas ; on pourra par exemple aménager des locaux avec des cloisons transparentes. Aucune exigence de discrétion ne justifie le besoin de se cacher. Ce cadre respecté garanti l’absence d’ambiguïté et les risques encourus par tous.
- Interdiction de toutes formes de violences. On peut observer que trois interdits fondamentaux structurent de façon décisive les relations éducatives chastes :
- L’interdit de la fusion qui absorbe les personnes l’une dans l’autre, en niant leur singularité propre ;
- L’interdit du mensonge qui manipule personnes et institutions ;
- L’interdit de la violence qui tue la confiance et écrase l’autre. Toute violence physique, psychique ou verbale, qui est une violence physique, est interdite. Par exemple, les humiliations répétées sur les enfants entrainent des défauts de croissance et un empêchement de grandir et l’effraction psychique des séquelles comparables à l’effraction physique. L’injonction que « le corps doit plier », que l’enveloppe corporelle entraîne au péché est une distorsion cognitive et les privations pour soumettre la volonté face à une désobéissance sont indignes.
Ces trois interdits se traduisent positivement par la vérité, le respect et la relation ajustée.
La chasteté éducative est un acte public, un témoignage de la sollicitude du Christ vis-à-vis de chacun. Elle est la condition bonne de la relation, un lieu de partage et d’altérité.