Accompagner et reconstruire

L’enfant victime

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Pour guérir d’un tel traumatisme, la victime doit pouvoir exprimer sa blessure, son sentiment de souillure et être entendue par un adulte de confiance. Elle pourra ainsi, peu à peu, reconstruire un monde habitable, réapprendre à se fier aux règles, retrouver du plaisir à vivre et se projeter dans l’avenir. Elle pourra quitter son statut de « victime » et redevenir  un enfant ou un jeune, avec un avenir ouvert devant lui. Pour cela, elle aura à s’appuyer sur le « capital affectif » reçu dans sa petite enfance, sur sa propre capacité à rebondir, grâce à l’aide apportée par son environnement.

L’accompagnement à long terme se fera « à la carte » ; le traumatisme n’est pas toujours proportionnel à l’abus subi et il n’y a pas de traitement unique, ni systématique, ni forcément immédiat. Mais il est possible de dégager quelques points d’attention.

Avec la famille

L’enfant peut se murer dans le silence. Ou bien parler beaucoup à ses amis de ce qui lui est arrivé : ce n’est pas toujours souhaitable, car cela risque de l’isoler et de le stigmatiser en tant que « victime ». Aussi doit-il en premier lieu trouver un adulte de confiance, susceptible de l’entendre avec compétence et sérieux. Ce rôle incombe d’abords aux parents, premiers protecteurs de leurs enfants. Mais ils sont souvent désemparés, choqués, voire culpabilisés devant l’événement, ne sachant pas quelle attitude adopter. Ils ont besoin d’être eux-mêmes aidés, ainsi que les frères et sœurs, afin de pouvoir mieux entourer la victime.

Il peut être utile de les aider à choisir aussi une personne sur qui ils pourront s’appuyer et à qui ils pourront se confier pendant cette période.

Avec les professionnels

Lorsque l’abus est avéré, la victime aura besoin d’une psychothérapie, sous une forme ou une autre, immédiatement ou plus tard. Il existe des équipes spécialisées dans la prise en charge des abus sexuels. Mieux vaut donc privilégier le recours à un psychologue ou un pédopsychiatre proche du domicile. Les soins aux victimes d’abus sexuels sur mineurs sont pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale.

À travers l’institution de la justice

Dans la plupart des cas, l’enfant ou le jeune aura également à faire face à la procédure judiciaire. Dans la mesure de sa compréhension, il sera informé des démarches et suites à venir (auditions, rythme de la procédure, possibilité des différentes issues…). L’intervention de la justice peut être bénéfique pour la victime.

En désignant l’adulte comme seul coupable, l’enfant ou le jeune peut se libérer de son propre sentiment de culpabilité.

Lorsque le procès se solde par un non-lieu, cela ne signifie pas obligatoirement que l’enfant ou le jeune a menti. Les preuves sont en effet parfois difficiles à établir, surtout lorsque les faits remontent à l’enfance et ne sont révélés que bien plus tard. Il peut arriver aussi que les faits soient déjà prescrits au moment de leur révélation. La victime doit être prévenue de ce risque, car il est difficilement acceptable pour elle.

Le groupe

Au-delà des personnes directement concernées, victimes et agresseurs, c’est tout un groupe qui a parfois vécu les événements de près ou de loin (école, classe, paroisse, mouvement de jeunes, équipe sportive…). Lorsque l’agresseur y est étranger (par exemple, c’est un membre de la famille de la victime), un certain devoir de réserve s’impose. L’enfant ou le jeune concerné a besoin avant tout d’un lieu où il pourra continuer à vivre normalement, sans être étiqueté comme victime.

En revanche, si l’événement concerne une institution, celle-ci doit prendre ses responsabilités et assumer sa fonction de protection des enfants et des jeunes.

Il faut organiser l’information rapidement, dans le respect de la loi, sans céder à la tentation du silence, qui est un leurre et ne préserve ni l’institution ni les personnes.

Pour répondre à l’insécurité que les enfants et les jeunes peuvent ressentir, les éducateurs ont à donner des informations adaptées à l’âge de chacun. Instaurer un climat de confiance permet à d’autres, qui auraient été agressés aussi, de s’exprimer.

Au-delà de l’explication des faits et des conséquences qu’ils entraînent, cela peut être ensuite l’occasion d’aller plus loin.

Il peut être utile de rappeler le rôle de la justice dans la société, dont la fonction est de chercher la vérité, de dire le droit et de le faire respecter. Les peines prononcées ont pour but à la fois de punir la personne coupable d’actes particulièrement graves, de dissuader tout autre de les commettre, d’empêcher le coupable de continuer à nuire, et de lui permettre de s’amender et de se réconcilier avec la société.

Il importe aussi d’affirmer que toute personne, y compris coupable d’abus sexuels, a droit à l’accompagnement et au respect. Si quelqu’un a commis des actes répréhensibles, il doit en rendre compte à la société et en accepter les conséquences.

Quelques suggestions

  • Réunir d’abord les adultes du groupe pour donner à chacun, dans le respect de la loi, des informations claires et objectives sur la situation.
  • Rappeler l’obligation de confidentialité qui entoure les informations concernant l’identité des personnes mises en cause. Définir ensemble la conduite à tenir vis-à-vis des enfants ou des jeunes, de leurs parents, de l’extérieur.
  • Prévoir aussitôt après une réunion du petit groupe le plus concerné (classe, équipe…) avec son responsable, puis une réunion de l’ensemble des enfants ou des jeunes. Raconter ce qui s’est passé avec des mots adaptés à chaque âge. Rappeler les lois qui protègent les mineurs dans ces cas-là. Expliquer que les adultes sont tenus de faire appel à la justice, laquelle ouvre une enquête et prend des décisions pour assurer la sécurité de la victime. Accorder une large place aux questions, pour apaiser l’émotion et percevoir comment les événements sont ressentis.
  • Proposer un lieu d’écoute individuelle pour ceux qui le désirent (avec l’infirmière, l’assistante sociale, un psychologue). Préciser que l’auteur présumé de ces violences ne reviendra pas en contact avec les enfants et les jeunes tant que la justice ne se sera pas prononcée.

L’adulte agresseur

Pour la personne pédophile, la conduite à tenir s’inscrit sur une longue période. Le terme même de guérison est ambigu : on ne guérit pas une organisation psychique, mais on cherche à contenir ses manifestations pathologiques.

La reconnaissance des faits

La personne doit d’abord pouvoir prendre conscience des faits qui lui sont reprochés. Si une telle appréhension est accessible à une personnalité névrotique, elle s’avère beaucoup plus difficile, voire impossible, si l’on est en présence d’une organisation psychique de type pervers. Néanmoins, l’imputation pénale, voire l’incarcération, peut, à chaque fois en tant que rappel de la loi, contribuer à aider le sujet à redécouvrir le sens du réel et ainsi lui permettre de comprendre peu à peu la gravité des actes commis. Cette première étape est presque toujours la plus délicate et la plus laborieuse. Mais si l’agresseur reconnaît les faits (notons cependant qu’en parler, ce n’est pas encore les reconnaître dans leur caractère coupable), la moitié du chemin d’amendement est effectuée.

Les ressources thérapeutiques

D’autres ressources thérapeutiques deviennent alors accessibles et pertinentes. Aucune n’est véritablement décisive en l’état actuel des connaissances, mais si l’agresseur s’est fermement interdit tout passage à l’acte, elles peuvent apporter des bénéfices non négligeables.

On pense bien sûr à la psychanalyse qui suppose que la personne ait un réel désir de se remettre en question en profondeur, mais aussi à la psychothérapie de groupe, ou encore aux thérapies comportementales.

Parallèlement, il peut y avoir un recours à un traitement chimique. Prescrit avec le consentement de l’intéressé, ce traitement ne supprime pas les fantasmes sexuels, mais diminue la libido et donc les possibilités de passage à l’acte. Il comporte des effets secondaires.

Un avenir incertain

L’ensemble de ces dispositions n’est pas insignifiant, mais ne vise finalement qu’à apprendre au sujet à contenir ses pulsions. On gagne donc toujours à l’accompagner sérieusement, à mettre en œuvre d’autres ressources, en particulier spirituelles. Il faut prévenir toute situation de risque en l’éloignant définitivement de tout contact avec les enfants et les jeunes et en lui assurant une activité professionnelle stable, une intégration sociale et familiale dans la durée. Cela lui permettra de formuler un vrai projet d’avenir, source de gratifications suffisante pour compenser le déficit narcissique.

Cet accès à une nouvelle place dans la société doit cependant toujours s’accompagner d’une grande vigilance et de beaucoup de prudence, même après de nombreuses années sans récidive.